samedi 20 mars 2010

BAYONETTA : Faster, Pussycat !


Tout est dit dès l'écran-titre en fait, le plus savoureux qu'on ait vu depuis très longtemps. Invoquant le souvenir brumeux des salles d'arcade, lorsque chaque borne s'annonçait au chaland après une courte vidéo démo ("Street Fighter… Two !"), Bayonetta se présente en énonçant son nom – mais pas n'importe comment. A la fois susurré et scandé, couché sur une onde de choc basse fréquence comme sur une coulée de lave, la courte séquence en rouge et noir évoque la tension moite d'un après-midi d'été, sensualité torride et orage imminent.

Déjà disponible depuis octobre au Japon, le dernier beat'em all du japonais Hideki Kamiya, plus connu comme le créateur du super-stylé Devil May Cry, a déjà beaucoup fait parler de lui – et tout est vrai. Le système de combat, d'une fluidité exemplaire, marie pieds et poings, corps à corps et flingues, avec la même élégance, l'un pouvant interrompre l'autre à tout moment selon les besoins et/ou l'envie. Celui-ci offre également des degrés multiples de jeu, satisfaisant les désirs immédiats de puissance (les coups spéciaux "torture", dont l'outrance est soulignée par des appuis rageurs et répétés sur un même et unique bouton) tout en réservant à ceux qui le voudront bien le relever un vrai challenge basé sur l'observation et les réflexes, tout en gracieuses esquives et en coups portés au bon moment, avec une pointe de retenue.

Mais si le titre parvient à offrir une expérience aussi singulière dans un domaine à priori archi-codifié (le classique beat'em all 3D), c'est avant tout grâce à sa pulpeuse héroïne. PlatinumGames n'est pas le premier studio à opter pour un tel premier rôle au sein d'une industrie plutôt réputée pour reléguer la femme tantôt au rang de fétiche, tantôt au rang de produit d'appel. Des exemples tels que Lara Croft, représentant le plus visible, évoluent ainsi à la limite de la masculinité, simples cautions sexy dans des univers d'homme, vivant des aventures d'homme. Les exceptions existent (Alyx Vance dans Half-Life 2, Jade dans Beyond Good & Evil, pour ne citer que les plus connues) mais elles jouent généralement sur un registre neutre – presque asexué – de gentille copine, comme conscientes de ne pas vouloir brusquer un public hardcore encore beaucoup décrit comme adolescent et masculin.

Tout le contraire de Bayonetta la sorcière qui, elle, assume et revendique à 100% sa féminité et sa sexualité. Sucette à la bouche, lunettes office girl sur le nez, elle aussi est objet de fantasme. Mais à la différence de Lara, c'est elle, ici, qui semble entièrement contrôler sa destinée et son image – le combat final contre un symbolique "Créateur" suggère qu'elle échapperait même au contrôle de Kamiya. Les rares hommes de son univers s'agitent autour d'elle comme des jouets, tantôt impotents et maladroits, tantôt Casanovas de pacotille incapables de la séduire. De fétiche sexy, elle devient symbole de puissance et intouchable déesse, voire idole castratrice (cette séquence où une rangée de pierres tombales dégringolant comme des dominos menace l'entre-jambes d'un des personnages masculins).

Si l'on retrouve dans le jeu l'euphorie et la précision des meilleurs beat'em all, les sensations et l'expérience, en revanche, sont différentes, délaissant les blockbusters machos habituels pour un univers aux touches plus féminines, voire féministes. Jamais, en effet, l'on aura usé de baisers pour faire sauter des verrous magiques. Ou bien vu une paire de lèvres pulpeuses marquer ses cibles. Ou transformé sa longue et soyeuse chevelure en dragon pour achever un boss. Qu'on ne s'y trompe donc pas : il y a une logique créative à la présence, sur le blog de PlatinumGames, d'une discussion autour des proportions des fesses et des seins de l'héroïne, comme d'autres s'attarderaient sur les détails de la modélisation d'un M-16 ou d'un AK-47. Le corps, ici, est la véritable arme.

Chronique parue dans le N°7 du trimestriel AMUSEMENT actuellement en kiosque, avec son aimable autorisation.

4 commentaires:

Memento a dit…

Je ne saurais vous dire à quel point je suis d'accord avec vous. (Evoqué à mon tour lors d'un précédent article : (http://www.consolesyndrome.com/analyses/bayonetta-lemancipation-de-la-femme-dans-les-jeux-video/)

Mathibus a dit…

Pas trop d'accord avec l'article, et les critiques en général autour de ce jeu.

Je vois l'héroïne plutôt comme l'objet des fantasmes SM de son créateur... et la femme dans son ensemble comme pur objet sexuel.

D'ailleurs le genre même du jeu indique bien la place peu importante de la « condition de femme » dans le jeu en lui même. Les beat them all n'étant pas, par essence, connu pour la qualité de leurs scénarii, ni la profondeur de ses personnages... Du coup on se retrouve plus à reluquer les courbes et le style de combat ultra sexuel de l’héroine, comme on s’installe devant son écran d’ordi pour mater YouPorn, un autre type de joystick à la main...

Numerimaniac a dit…

Comme Mathibus, j'ai un peu un doute quant à la féminité selon Bayonetta... (ce qui me fait penser au mot bayonette, objet phallique qui transperce la chair). Je n'ai pas joué au jeu, alors je ne pourrais pas en dire plus...

Est-ce que c'est parce qu'elle est insoumise qu'elle s'affranchit de sa condition de femme objet? Ou glisse-t-elle dans un autre fantasme, celui de la domina?

Vivement que je puisse y jouer :)

Anonyme a dit…
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